Anti-OGM: Contre l’imposition des OGM

Détruire le mythe autour des O.G.M non confinés

Louis-Marie Houdebine et la controverse d’Alba : une transgénèse aux aspects douteux

Posté par ... le 10/8/2008

vert.bugsOu qui veut la peau du GFP Bunny ? Si les activités d’Eduardo Kac, professeur à la School of the Art Institute of Chicago, et présentées en décembre 2000 dans le cadre d’un colloque sur l’art post-biologique à Paris, sont inscrites dans l’optique de proposer un débat sur la transgénèse, elles n’en demeurent pas moins éthiquement contestables, et traduisent une certaine dérive actuelle de l’idéologie biotechnologique, décidée par quelques initiés en ce qui concerne la manipulation des organismes vivants. Aussi, il apparaît que l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) a utilisé de l’argent public, par le biais d’un de ses chercheurs, pour participer à la réalisation d’un animal transgénique du projet de Kac, pour finalement se rétracter et mettre fin à la collaboration, dans des conditions pour le moins ambigues.

1) Une utilisation de la transgénèse éthiquement contestable

Vous connaissez peut-être les poissons génétiquement modifiés domestiques aux couleurs fluorescentes, comme ceux de la start-up Yorktown Technologies aux Etats-Unis : les Glofish qui se déclinent en trois couleurs; Mr Kac va encore plus loin en proposant une nouvelle forme d’art, l’ “art transgénique”, ou bio-art, défini comme suit:

L’art transgénique est une nouvelle forme d’art qui repose sur l’utilisation des techniques de génie génétique pour incorporer des gènes synthétiques dans un organisme ou pour incorporer du matériel génétique naturel d’une espèce dans une autre, afin de créer des êtres vivants uniques. Cette présentation sera centrée sur des œuvres transgéniques récentes, dont “Genesis” (1999) et “GFP Bunny” (2000). (1)

Cet art transgénique aboutit selon la vision de l’artiste, à l’idée de créer de nouveaux genres d’animaux domestiques, comme le montre ouvertement la phase finale du projet “ GFP Bunny”, consistant en la domestication d’une lapine transgénique ayant reçu un gène de méduse permettant la production d’une protéine fluorescente verte visible sous une lumière ultraviolette. Eduardo Kac n’est cependant pas le seul représentant de ce courant de “pensée artistique”; d’autres animaux génétiquement modifiés ont été associés à des projets équivalents, comme celui du généticien Reinhard Nestelbacher, “Green”, avec une souris, également fluorescente. Le renommé Massachussets Institute of Technology (MIT) a apporté sa caution à ces travaux, et a publié en décembre 2006 un livre dirigé par Kac sur cette nouvelle discipline - Signs of life, Bio-Art and Beyond-, et avec la participation de plusieurs artistes et chercheurs généticiens, pratiquant notamment la transgénèse végétale.

Cependant, la modification génétique des animaux par transgénèse à fins d’agréments, de loisirs artistiques ou par complaisance, est fortement discutable éthiquement, et l’est d’autant plus dans les pays réservés ou déjà hostiles à la dissémination des OGM dans l’environnement mais aussi à leur présence dans l’alimentation, comme de nombreux pays européens mais aussi du reste du monde. Pourtant, nombre de généticiens et “initiés” du domaine, voient déjà dans la transgénèse l’outil d’un design industriel des organismes vivants à la convenance des entreprises, non sans vaguement rappeler l’idée ascientifique de “dessein intelligent” et son idéologie sous-jacente, fort répandue et populaire aux Etats-Unis, y compris chez les décideurs politiques, et contraire aux fondements de la théorie de l’évolution et de la biologie moderne. Pourtant, le débat sur ces questions qui débouchent déjà sur des applications industrielles dans quelques pays, semble volontairement laissé de côté, et ces applications s’avèrent être dans un pays comme la France, non questionnées dans les prises de position publique ou dans les médias.

2) Une controverse impliquant un laboratoire français passée sous silence par la presse hexagonale

En 2000, les activités de Kac ont suscité une controverse toujours ouverte portant sur les modifications génétiques d’une lapine à des fins artistiques, au coeur de laquelle se trouve un chercheur français de l’INRA spécialiste de la transgénèse animale et grand promoteur des OGM: Louis-Marie Houdebine. Le généticien, proche de l’AFIS et membre du comité scientifique de la revue francophone de promotion des biotechnologies Biofutur, porte la double casquette de chercheur à l’INRA, et de co-fondateur d’une start-up privée, Bioprotein Technologies Inc., produisant des protéines recombinantes dans le lait de lapin transgénique. Son objectivité scientifique est donc loin d’être désintéressée, d’autant plus que ses activités de promotion des OGM par des publications destinées au grand public sont assez nombreuses. La participation de Houdebine au projet de Kac n’est donc pas complètement fortuite, mais s’inscrit dans une conception très artificialisée de la vie, et dans une logique de promotion des produits OGM sans beaucoup de discernement. Cette affaire n’a curieusement eu pour l’instant aucun retentissement dans la presse francophone, bien qu’ayant suscité l’intérêt assez bref de la presse américaine, notamment avec la publication d’un article dans le Boston Globe en septembre 2000(2), puis en alimentant un débat privé grâce à internet, dans la communauté scientifique internationale, jusqu’à nécessiter la prise de position publique du chercheur sur ces questions dans une conférence spécifiquement dédiée et tenue devant les spécialistes de l’Association Européenne de Biologie Moléculaire (EMBO) en août 2007(3). L’information de l’annulation de la présentation de la lapine transgénique fluorescente dénommée ““Alba” au festival Avignon Numérique , en juin 2000 (phase deux du projet “GFP Bunny”), semble seule avoir retenu l’attention des journaux locaux Midi-Libre, Vaucluse Matin, et La Provence(4), suite à une controverse née au sein même du laboratoire de l’INRA. En effet, la direction du laboratoire de Jouy-en-Josas décida qu’Alba ne quitterait pas les locaux de l’INRA, ce qui poussa Kac a lancé une campagne médiatique contre ce qu’il appela: une censure artistique. Le seul quotidien national à avoir alors parlé d’Alba est le journal Le Monde(5), informant d’un blâme du généticien par sa direction, mais en passant sous silence la controverse née entre Kac, Houdebine et sa hiérarchie, au cœur de la question sensible concernant l’usage des technologies de l’ADN recombinant. Très peu abordée dans le débat public, car fallacieusement reléguée aux “spécialistes”, la technique de l’ADN recombinant a pourtant largement mais très partiellement occupé le débat médiatique, à travers ses répercussions commerciales concernant principalement l’imposition de la dissémination des OGM agricoles malgré le large refus des consommateurs de ces produits alimentaires dont les effets sur la santé et l’environnement à long terme sont inconnus.

La controverse d’Alba n’est pourtant pas à ce jour résolue, et elle fût entérinée par la publication d’une photo controversée de l’animal dans l’article du Boston Globe ayant suscité un arrêt brutal de la collaboration entre le chercheur de l’INRA et l’artiste américain, deux mois après l’annulation de la présentation d’Alba à Avignon. La couleur très verte de la lapine sur la photographie aurait été arrangée, selon Houdebine, et ne correspondrait pas aux conséquences de la modification génétique réelle. Cet arrangement a été démenti par Kac, qui prétend avoir utilisé un filtre de révélation de la fluorescence déjà utilisé par le biologiste Nestelbacher dans son projet équivalent “Green”(6). La présentation photographique faussée est ce qui aurait officiellement poussé le chercheur à rompre sa collaboration avec l’artiste, mais les circonstances réelles de cette prise de distance soudaine sont loin d’être aussi claires et évidentes, comme le montrent les divergences dans les versions des faits des deux principaux protagonistes (voir en fin d’article).

La prise de liberté du généticien Louis-Marie Houdebine concernant ses activités d’expérimentation sur des animaux a très vite suscité l’embarras de sa direction, et a participé à l’avènement de critiques de cette nouvelle forme d’exploitation des animaux par des journalistes s’étant intéressés à cette histoire, même si cette problématique n’a que très peu filtré en France. Aussi, un seul article recensé, daté de janvier 2004, du journaliste Franck Mazoyer, dans le Monde Diplomatique, fait un état des lieux de la mise en commercialisation de poissons zèbres génétiquement modifiées à fins domestiques, créés à Taiwan et Singapour(7), mais aucun n’a fait état du détail de la controverse de la lapine transgénique Alba, censée devenir domestique, et au coeur d’un conflit technico-scientifique et d’un débat d’importance concernant l’usage des acquis de la génétique.

3) L’engagement de l’argent et d’un chercheur du service public français dans un projet douteux

Dans les faits, la nature de la controverse d’Alba prend clairement pour point de départ le détournement de la recherche scientifique publique à finalité médicale, portant sur la production de protéines médicamenteuses par des lapins, à la faveur d’une idéologie biotechnologique d’exploitation du vivant à fins anthropocentriques, incarnée par le projet de Kac. Cette idéologie biotechnologique est soutenue par les grands centres de recherche aux Etats-Unis, largement financés par le secteur privé et les grandes compagnies semencières, ou les start-up du domaine, et ce, sans aucune consultation du public, pour des questions pourtant de grande importance, car concernant l’essence même des organismes vivants présents dans l’environnement, au niveau le plus fondamental qu’il est scientifiquement possible aujourd’hui de déterminer. La manipulation du vivant à des fins artistiques ou domestiques est ainsi soutenue par plusieurs centres de recherches aux Etats-Unis, ayant donné caution au projet “GFP Bunny”, y compris après l’apparition de la controverse, comme en témoigne la publication d’un livre de Kac sur l’art transgénique par le MIT en 2006.

Mais en France, il en a été tout autrement. Soutenue par l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, organisant un colloque sur l’art post-biologique en décembre 2000, l’utilisation par Kac d’un animal destiné à la recherche médicale financée par l’argent public, semble, de manière fort compréhensible, ne pas avoir été appréciée par la direction du laboratoire de Houdebine à l’INRA. Premièrement, après que Houdebine ait été contacté par Kac et ait accepté sa participation au projet “GFP Bunny”, la direction de l’INRA a très vite manifesté son souhait en 2000, que le chercheur ne participe pas au débat sur l’art trangénique du festival d’Avignon (3). Puis, le directeur du laboratoire et supérieur hiérarchique se désolidarisera de Houdebine, en déclarant, selon les propos du chercheur lui-même, qu’il “n’aurait pas dû donner le lapin à quelqu’un d’extérieur au laboratoire“(6). Le projet de Kac comportait effectivement trois phases: 1) la création du lapin transgénique, 2) une présentation et une discussion avec le public, et 3) l’adoption du lapin par Kac en tant qu’animal domestique. Aussi, Kac affirme que dès la phase de création d’Alba, le projet était connu, d’autant plus que l’artiste avait déjà publié sur un projet similaire avec un chien, dès 1998. Les recherches sur la transgénèse animale de Louis-Marie Houdebine portent sur des modifications à destinée médicale, notamment l’élaboration de molécules médicamenteuses, et non pas sur des fantaisies éthiquement contestables, ou pour l’exploitation de l’animal à des fins d’agrément. Comment une collaboration de ce type a-t-elle pu naître entre un laboratoire de recherche public et de telles activités ? Les modifications génétiques dans le cadre médical, occasionnent notamment des souffrances chez les animaux, les protéines produites altérant à des degrés divers leur santé, selon le rapport écrit d’une conférence du même chercheur sur la production de médicaments via des animaux transgéniques. Est-il donc bien raisonnable de considérer ces techniques pour l’activité, l’amusement ou la provocation artistique ?

Mais ce qui a fait émerger le scandale n’est pas tant ces questions éthiques, très peu abordées de manière générale, que la remise en cause par d’autres artistes des droits de crédit de Kac pour son projet suite à la controverse au sein du laboratoire de l’INRA(6). En effet, si Louis-Marie Houdebine n’a pas modifié génétiquement la lapine à des fins artistiques, et a seulement laissé Kac choisir un lapin parmi ceux présents dans le laboratoire comme il l’affirme, Kac peut-il prétendre exercer une réelle activité artistique ? C’est là que se situe le nœud de l’affaire : Kac affirme qu’Alba a été conçue spécifiquement par le généticien en janvier 2000 pour le projet “GFP Bunny”. Mais Houdebine affirme quant à lui qu’Alba était un animal ancien, conçu quatre ans plutôt dans le cadre des recherches de l’INRA, et qu’il n’a donc pas été spécifiquement modifié pour le projet de Kac. Les deux hommes offrent ainsi aux journalistes deux versions complètement différentes des événements, qui engagent à de nombreuses questions.

Le lapin fluorescent génétiquement modifié du projet “GFP Bunny”, qui n’a jamais quitté les laboratoires de Jouy-en-Josas, a été déclaré mort en 2002, et pour des raisons encore peu claires. Houdebine dit ne pas croire que le gène de méduse transféré sur le lapin a causé sa mort, qui est décrite pourtant selon ses mots comme “sans raison apparente“(6).Les lapins peuvent vivre jusqu’à 12 ans en captivité, la durée de vie moyenne se situant entre sept et douze ans. Suivant la version de Houdebine, Alba est morte à quatre ans. Suivant la version de Kac, Alba serait morte à deux ans. Nous sommes donc très loin dans les deux versions, des douze ans de vie potentielles pour cet animal, et largement en-dessous de la durée de vie moyenne d’un lapin en captivité, qui en tant qu’”objet de recherches”, devait plutôt être correctement traité. De plus, Alba présentait de “bonnes dispositions” apparentes, qui faisaient également d’elle la “vedette” du projet artistique et médiatique de Kac. Comment donc expliquer sa mort prématurée ? La durée de vie moyenne d’un lapin transgénique comme les lapins GFP est-elle inférieure à la durée de vie moyenne des lapins non transgéniques ? La lapine a-t-elle ainsi succombé aux conséquences des expérimentations biotechnologiques qu’elle a subies (ce que semble contester le chercheur) ? Ou Alba était-elle devenue tellement dérangeante pour le généticien et le laboratoire de l’INRA qu’une personne a décidé de la faire passer pour morte, ou pire, d’écourter artificiellement son existence ?


Addendum: ALBA: Kac se débine, Houdebine persiste et signe (11/09/08)


(1) Présentation de l’art transgénique, colloque L’art à l’ère post-biologique, Paris, 12 & 13 décembre 2000.
(2) “Cross hare: hop and glow”, Boston Globe, 17 septembre 2000
(3) “Dealing with difficult topics in public: A communication workshop focused on controversial issues in science”, L-M Houdebine, Embo.org, 28 octobre 2007.
(4) Voir le recensement complet de la couverture médiatique du projet GFP Bunny sur le site d’Eduardo Kac.
(5) “Quoi de neuf, Docteur ? Un lapin transgénique interdit d’exposition à Avignon”. Sylvie Chayette, Le Monde Intéractif, mis à jour le vendredi 30 juin 2000.
(6) “RIP: Alba, the Glowing Bunny”, Kristen Philipkoski, Wired.com, 08.12.02
(7) “Le sacre des mutants”, Franck Mazoyer, Le Monde Diplomatique, janvier 2004.
Credit Image: CNN, “Bugs Bunny”, from Warner Bros

Une Réponse à “Louis-Marie Houdebine et la controverse d’Alba : une transgénèse aux aspects douteux”

  1. Aurel A dit:

    Addendum: Il est à noter que la définition de Kac concernant la transgénèse appliquée à son activité est déjà pour le moins erronée.

    En effet, lorsqu’il parle d’incorporer des “gènes synthétiques” dans un organisme, il fait référence à des séquences génétiques complètement artificielles, en transcrivant par exemple du texte en codage assimilé, ce qui est en gros faire absolument n’importe quoi d’un point de vue biologique. L’artiste a ainsi pris un extrait de la bible, transformé en codage génétique pour l’incorporer dans une bactérie dans son projet appelé “Genesis”. Une sorte de délire religieux.

    Secondo, lorsqu’il parle d’incorporer du “matériel génétique naturel d’une espèce à l’autre”, il ne s’agit pas de matériel génétique naturel, mais bien déjà de gènes synthétiques, littéralement, puisque les transgènes sont des constructions, donc biosynthétiques, assemblées en laboratoire. D’autre part, l’injection directe de matériel génétique dans une cellule hôte correspond déjà à l’isolement artificiel de séquences génétiques en provenance d’un autre organisme, et il s’agit également alors d’un processus construit.

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